L'épisode dépressif emprisonne le patient dans une vision négative du monde qui l'entoure. KieferPix/Shutterstock
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Comment la kétamine agit-elle sur les « croyances dépressives » ?

Nombre de troubles psychiatriques sont caractérisés par des croyances insolites dont on peine à comprendre l’origine. Si les systèmes cérébraux qui les sous-tendent étaient bien identifiés, ils pourraient constituer une cible majeure d’action thérapeutique.

Qu’est-ce qui détermine ce que nous croyons à propos du monde, de nous-mêmes, de notre passé, et de notre futur ? Les neurosciences cognitives suggèrent que nos « croyances » dépendent de l’activité de notre cerveau, et plus précisément de la manière dont il traite les informations sensorielles afin de donner du sens à notre environnement.

Ces croyances (définies comme des estimations de probabilité) sont au cœur des processus prédictifs cérébraux permettant à notre cerveau de prédire la structure probabiliste du monde qui nous entoure. Ces prédictions pourraient même être les briques fondamentales à partir desquelles sont construits nos états mentaux, comme les perceptions et les émotions.

Nombre de troubles psychiatriques, telles la dépression ou la schizophrénie, sont ainsi caractérisés par des croyances insolites dont on peine à comprendre l’origine. Or, si les systèmes cérébraux qui les sous-tendent étaient bien identifiés, ils pourraient constituer une cible majeure d’action thérapeutique pour soulager la souffrance associée à ces troubles.

Mieux comprendre les mécanismes des croyances en psychiatrie

C’est ce que suggère l’étude que nous venons de publier dans la revue JAMA psychiatry. Avec mon équipe, nous avons exploré l’effet de la kétamine, un psychotrope dissociatif, sur les mécanismes de mise à jour de ces croyances (comment nous les modifions suite aux informations reçues) chez des patients souffrant de dépression résistante aux traitements.

Alors que les antidépresseurs classiques mettent plusieurs semaines avant d’être efficaces, la kétamine, qui est une molécule antagoniste des récepteurs NMDA (N-méthyl-D-aspartate) présents sur les neurones, donne de premiers effets antidépresseurs en quelques heures. Elle entraîne également pendant son administration une expérience dissociative de dépersonnalisation avec la sensation de sortir de son corps (ou « autoscopie »).

Cette rapidité d’action et ces effets dissociatifs a priori inattendus interrogent sur les processus impliqués dans son efficacité thérapeutique, et constituent un mystère à la frontière de la pharmacologie et des neurosciences.

Les biais cognitifs-affectifs dans la dépression

En France, la dépression est le trouble psychiatrique le plus fréquent (20 % de la population touchée au moins une fois au cours de sa vie) et la première cause de suicide. Les croyances dépressives (pessimisme, dévaluation, rejet, vécu d’échecs) en constituent l’un des symptômes les plus spécifiques. Ces thématiques négatives sont dites « congruentes à l’humeur », leur contenu étant homogène avec la teinte affective du sujet.

Ces croyances sont cruciales car elles influencent la perception et les actions, provoquant un phénomène d’autorenforcement négatif. La croyance d’être « rejeté par ses pairs » favorise progressivement le repli sur soi-même, consolidant en retour la conviction d’être « sans valeur ». Lorsque la boucle s’est refermée sur elle-même, il est difficile de sortir de ce cycle infernal.

Depuis les recherches menées par le psychiatre Aaron Beck, un grand nombre de travaux ont suggéré que la manière dont les informations sont encodées dans les réseaux de croyance selon leur valence (leur caractère positif ou négatif) pourrait être impliquée dans la génération de ces croyances dépressives.

Ces travaux novateurs ont en effet montré que nous avons tendance à encoder préférentiellement les informations positives. Ce phénomène, dénommé « biais affectif », est à l’origine de la génération de croyances légèrement plus positives que la réalité : nous avons ainsi tendance à croire que nous sommes plus intelligents, plus attrayants, meilleurs conducteurs ou meilleurs amants que la réalité statistique.

Dans la dépression, ce biais disparaît, ou s’inverse : les patients intègrent davantage les informations de valence négative, générant au fil du temps des croyances plus sombres à propos du monde, d’eux-mêmes ou du futur. Ce phénomène d’inversion du biais affectif pourrait d’ailleurs être l’une des clefs pour comprendre l’origine des croyances dépressives.

Comment la kétamine agit sur les systèmes de croyances

Nous avons lancé notre étude suite à une constatation clinique surprenante faite dans notre unité à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris). Les patients souffrant de dépression résistante et recevant de la kétamine à visée antidépressive rapportaient une sensation étrange : après le traitement, leurs perspectives sur le monde semblaient avoir changé comme si leur point de vue s’était modifié.

Les croyances négatives qui les accompagnaient depuis plusieurs mois semblaient s’estomper. Certains patients exprimaient même un sentiment d’étrangeté vis-à-vis de ces pensées, comme si elles avaient appartenu à quelqu’un d’autre. Plus intriguant encore, ces changements semblaient directement associés à l’efficacité antidépressive du traitement, sans que l’on ne comprenne la causalité de ce lien.

Confrontés aux récits de nos patients, nous avons suspecté un effet de la kétamine sur les mécanismes de mise à jour des croyances. C’est pour essayer de comprendre ce phénomène que nous avons réalisé une expérience destinée à évaluer l’effet de la kétamine sur la manière dont nous générons des croyances – en l’occurrence une tâche réalisée avant et après le traitement.

Au cours de cette tâche expérimentale, nous demandions aux sujets d’estimer leur probabilité de vivre 40 événements négatifs futurs (par exemple, se faire mordre par un chien ou avoir un accident de voiture) ainsi que d’autres estimations qui pouvaient avoir une influence sur les processus étudiés. Nous observions ensuite comment leurs estimations à propos de ces 40 événements négatifs étaient impactées, en fonction de la valence de ces informations.

Seulement quatre heures après l’administration de kétamine, nous avons constaté une diminution significative de l’intégration des informations négatives dans la génération des croyances : le biais affectif en faveur des informations positives était rétabli chez les patients souffrant de dépression résistante. Plus surprenant encore, cet effet était directement associé à la réduction des symptômes dépressifs après une semaine, suggérant que ces changements cognitifs pourraient précéder l’amélioration clinique.

Des perspectives de recherches futures

Structure 3D d’un récepteur NMDA
Les récepteurs NMDA des neurones, où se fixe la kétamine, ont un rôle important dans la plasticité cérébrale et les processus de prédiction. C22H31NO2, CC BY-SA

Des recherches supplémentaires sont encore nécessaires pour comprendre les processus cérébraux associés à ces changements, mais un grand nombre d’indices converge vers une implication de la signalisation médiée par les récepteurs NMDA. Ces récepteurs neuronaux sont justement impliqués dans la balance d’excitation-inhibition cérébrale, et ils semblent être déterminants pour les processus prédictifs et la plasticité cérébrale.

L’action directe de la kétamine sur l’activité de ces récepteurs constituerait ainsi une voie pharmacologique directe de modulation des mécanismes prédictifs, expliquant à la fois ses effets antidépresseurs d’action rapide et ses effets dissociatifs. En modulant la façon dont le cerveau utilise les briques sensorielles pour bâtir des croyances, la kétamine pourrait ainsi permettre de modifier les mécanismes à l’origine des croyances dépressives.

Ces hypothèses ouvrent de nombreuses perspectives pour développer des traitements ciblant ces processus cérébraux, ou combinant ces molécules avec des protocoles de psychothérapies augmentées opérant spécifiquement sur les systèmes des croyances. Cet objectif est actuellement au cœur des débats en médecine dite psychédélique, notamment pour la psilocybine, une molécule hallucinogène exerçant des effets antidépresseurs rapides comme la kétamine. Peut-être une voie d’avenir pour la réconciliation des approches pharmacologiques et psychothérapeutiques en psychiatrie ?


Hugo Bottemanne, psychiatre à la Pitié-Salpêtrière et chercheur à l'Institut du Cerveau (Sorbonne Université / CNRS / Inserm)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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