Et vous, comment faites-vous la bise ?
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Et vous, comment faites-vous la bise ?

Savez-vous vraiment comment faire la bise à Marseille ? À Lille ? Quelle joue tendre ? Et combien de fois ? Ce rituel et son nom demeurent parfois bien incompréhensibles pour ceux qui sont peu coutumiers de ce « bisou » ou « bécot » à la fois si familier et routinier.

C’est pour mieux explorer ce phénomène que j’ai décidé de le cartographier dans mon ouvrage à paraître Parlez-vous [les] français ? Atlas des expressions de nos régions (Armand Colin, octobre 2019). Grâce à un système d’enquêtes en ligne mis en place il y a quelques années, j’ai ainsi pu collecter des informations auprès des internautes quant à leur usage du français.

Cela m’a permis de préciser l’aire d’extension et la vitalité d’un certain nombre de régionalismes linguistiques, et d’examiner, sous un jour nouveau, le match « pain au chocolat vs chocolatine » ou la question de la dénomination du crayon à papier.

Non la bise n’est pas « typiquement française »

Les hypothèses sur les origines de la bise sont nombreuses, et souvent invérifiables. S’agit-il de la ritualisation de comportements ancestraux, comme se renifler pour se reconnaître ou reproduire une expression affective liée à l’enfance ?

Sur ce point, les historiens, anthropologues et autres spécialistes des comportements humains ne sont pas parvenus à un consensus. Disons que le fait de faire la bise (ou de se faire un « schmoutz », de se « biser » ou de se donner une « baise », etc.) est une habitude que beaucoup d’Anglo-Saxons croient typiquement française.

Mais elle ne l’est pas : on se fait aussi la bise dans les pays d’Europe du Sud, à tradition catholique ou orthodoxe, jusqu’en Russie, dans certains pays arabes et d’Afrique subsaharienne !

Sur le plan historique, il semblerait que le rituel remonte à l’Antiquité, et qu’il ait connu des hauts et des bas dans l’histoire de l’humanité moderne, tantôt interdit, tantôt valorisé.

La question se complexifie encore quand on cherche à tenir compte du contexte (dire bonjour, dire au revoir, se souhaiter la bonne année, etc.), du lien de parenté des personnes impliquées (la bise semble longtemps avoir été réservée à l’intimité familiale), ou de leur genre. Ainsi, la bise entre hommes a longtemps été stigmatisée.

La bise sur la Toile

Ce qui est sûr, c’est que ce rituel agite régulièrement la Toile depuis une quinzaine d’années. Une partie des discussions porte sur le nombre de bises il faut faire.

La question a fait pour la première fois le buzz en 2003, à la suite de la mise en ligne du site combiendebises.

Le rituel a d’ailleurs suscité la mise en ligne d’une vidéo humoristique du stand upper britannique Paul Taylor qui a rapidement conquis l’audience (plus de 3 millions de vues, tout de même).

« La bise » (Paul Taylor, 2016 ).

Les données que nous avons collectées dans le cadre de nos enquêtes conduites entre 2016 et 2019, nous ont permis d’apporter de nouveaux éléments de réflexion pour continuer le débat.

Combien de bises ?

Notre première carte a été établie sur la base des réponses de plus de 18 600 internautes ayant déclaré avoir passé la plus grande partie de leur jeunesse en Belgique, en France ou en Suisse ; et à qui l’on a présenté la question « Combien faites-vous de bises pour saluer un proche ? » Les internautes devaient indiquer s’ils faisaient une, deux, trois, quatre, cinq bises ou plus. Nous avons calculé le pourcentage de réponses pour chaque arrondissement de Belgique, de France et de district en Suisse.

Pour chacun de ces points, nous avons conservé la réponse qui avait obtenu le pourcentage le plus haut :

Distribution en Belgique, en France et en Suisse du nombre de bises.

En Belgique, la plupart des internautes ont déclaré faire une seule bise (les taux avoisinent les 100 %), tout comme dans la partie nord du département du Finistère (Morlaix et Brest, où les taux sont un peu plus bas, 70 %). On dirait que les revendications du Le Groupement de Réhabilitation de l’Usage de la Bise Unique ont été entendues !

Majoritairement, les Français font deux bises, à part dans le Languedoc et dans la partie sud de l’ex-région Rhône-Alpes. Un comportement que l’on retrouve en Suisse romande. Dans la partie septentrionale de la France, les aires en rose signalent les endroits où l’on fait encore quatre bises. L’analyse des données montre cependant que dans ces régions, les quatre bises sont fortement concurrencées par les deux bises.

Comme on peut le voir sur les cartes ci-dessous, le fait de faire quatre bises est

une habitude plus fréquente chez les seniors que les juniors.

Faire glisser le curseur sur la carte ci-dessous pour voir la vitalité et la répartition des quatre bises chez les moins de 25 ans et chez les plus de 50 ans.

L’avenir nous dira si les quatre bises continueront à être reproduites dans les années à venir, où si elles ne seront plus qu’un lointain souvenir.

L’origine de ces différences reste inconnue. Un internaute m’avait fait remarquer que les trois bises recouvraient à peu près l’aire protestante du XVIIe siècle, et qu’elles auraient été un signe de reconnaissance (la Trinité).

Pour les quatre bises, l’idée semblerait être que chacun puisse poser une bise sur chacune des joues de son vis-à-vis. Se non è vero, è ben trovato !

Quelle joue tendre en premier ?

Le second débat concerne la joue qu’il faut tendre en premier quand on fait la bise. Sur les un peu plus de 11 000 participants que nous avons interrogés, 15 % des répondants ont avouer ne pas savoir ou ont répondu les deux. Nous avons exclu les réponses de ces participants, et avons généré sur la base des réponses restantes la carte ci-dessous :

Distribution en Belgique, en France et en Suisse des internautes selon la joue qu’ils tendent en premier lorsqu’ils font la bise.

On peut voir que le territoire est grosso modo divisé en deux parties. Dans le Sud-Est et l’Est de la France, on tend la joue gauche en premier. Dans l’autre hémisphère, c’est la droite. Notons toutefois l’existence de deux îlots dans chacune de ces grandes régions : en zone bleue la Suisse romande se détache. En zone rouge, c’est la Haute-Normandie qui fait bande à part.

Ici encore, il est difficile d’expliquer les raisons d’être d’une telle distribution, l’aire dessinée sur la carte ne correspondant à aucune autre aire connue qui permettrait de l’expliquer.

Variations sur les dénominations

Enfin, c’est un fait moins connu, la façon dont nomme l’action de se faire la bise (et parfois plus généralement, l’action de se faire un bisou, pour se saluer ou non), varie d’une région à l’autre. Nos enquêtes nous ont permis de cartographier avec précision l’aire de sept verbes et expressions régionales.

Distribution en Belgique, en France et en Suisse des expressions synonyme de « se faire la bise ».

La plupart des mots que l’on retrouve sur cette carte appartiennent à la même famille que le mot du français contemporain bise (dont bisou est un dérivé). Le verbe biser par exemple est aujourd’hui sorti de l’usage conversationnel, mais on le retrouve sous la plume de nombreux auteurs du début du XXe siècle (chez Raymond Queneau notamment), et il figure encore dans certains dictionnaires (avec la mention familière).

Il est toujours employé dans le Centre-Ouest de la France, où il coexiste avec la variante « biger », sans doute passée dans le français régional par l’intermédiaire des dialectes locaux (le poitevin, l’angevin et/ou le tourangeau) que parlaient encore couramment nos aïeux il y a un siècle.

En Belgique, faire une « baise » (à quelqu’un) n’a rien de sexuel : le mot baise correspond au substantif « baiser » (on retrouve le retrouve dans le mot un peu désuet, baisemain).

La variante « baisse » que l’on retrouve dans une partie de la Picardie est elle aussi à mettre en relation avec la forme locale que prend le mot baiser dans les dialectes de cette région.

Le verbe se boujouter, typique de la Normandie, est construit sur le mot boujou qui est la forme dialectale du français bonjour dans cette région de la France (rien à voir donc, avec la joue).

En Suisse romande, le mot bec que l’on entend dans l’expression « se faire un bec » est un mot formé à partir du verbe becquer, qui a encore cours en français, et qui signifiait à la base « donner des coups de becs, prendre par le bec ». On peut rapprocher bec de son équivalent du français familier « bécot » (qui a aussi donné le verbe bécotter, « se faire des bisous, s’embrasser amoureusement »).

Quant au mot schmoutz que l’on retrouve dans le tour « se faire un schmoutz », il est d’origine allemande et signifie « bisou » en français (et a donné en anglais smack). Il est exclusivement utilisé dans les départements de France où l’on parlait encore très majoritairement au début du XXe siècle des dialectes germaniques.

Sur un territoire aussi grand que celui de la francophonie d’Europe, il n’est pas étonnant que d’une région à l’autre, les formules de salutation, de politesse ou les dénominations de tel ou tel objet ou telle ou telle action n’aient pas le même nom. Naguère, à l’époque de nos arrière-grands-parents, les dialectes assuraient cette fonction communautaire. Le français a aujourd’hui pris le relais, et les réseaux sociaux permettent de mettre en valeur cette belle diversité. Pour le plus grand plaisir des linguistes.


Mathieu Avanzi est maître de conférences en linguistique française à la Faculté des Lettres de Sorbonne Université. Il est également l'auteur de l'« Atlas du français de nos régions » (Armand Colin, 2017)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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