La petite musique du genre
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La petite musique du genre

ou comment combattre le sexisme dans la musique classique

Hyacinthe Ravet, Sorbonne Université

Est-ce une petite musique de fond, gentillette ? Une rengaine lancinante ? Un nouvel air à la mode ? Au sein des pratiques artistiques aujourd’hui, une voix commune se fait entendre pour demander plus d’égalité. Plus d’égalité dans l’accès à la scène, à tous les métiers de la scène ; plus d’égalité dans le déroulement des carrières professionnelles, dans l’accès à la reconnaissance ; plus d’égalité aussi pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles.

La musique n’est pas en reste. Domaine professionnel le moins féminisé des métiers de l’interprétation artistique au regard du théâtre et de la danse, la pratique musicale est pourtant une pratique mixte de longue date et un apprentissage largement féminisé au sein des établissements de formation. Mais les rôles et les fonctions occupées ne sont souvent pas les mêmes entre femmes et hommes en musique.

1997, une première femme, Anna Lelkes, est acceptée officiellement au sein du Philharmonique de Vienne au poste de harpiste. Elle y était présente comme non-titulaire depuis 20 ans. Le Philharmonique de Vienne, c’est l’orchestre du bal du Nouvel An retransmis chaque année à la télévision. Tout un symbole.

Le sexe des instruments

En France, 30 orchestres permanents professionnels – symphoniques, lyriques ou orchestres de chambre – emploient des musiciens et des musiciennes sur contrat à durée indéterminée à l’issue d’un concours en plusieurs tours. Dans les années 1970, quasiment aucune femme n’exerçait dans un tel orchestre. Aujourd’hui, les femmes représentent un tiers des effectifs en moyenne. Mais elles ne sont pas présentes encore à tous les pupitres. Nombreuses parmi les instruments à cordes, de plus en plus souvent présentes parmi les « bois », notamment à la flûte, elles sont quelques-unes à accéder aux pupitres des cuivres, parmi les cors et les trompettes, mais pas parmi les trombones et les tubas, les instruments les plus graves.

C’est pour cela que l’on peut parler du « sexe des instruments ». En fait, de leur genre, puisque ces outils de musique ne disposent bien entendu pas de tels organes par nature. Les représentations genrées infusent toutes les pratiques musicales, associant tel geste (le toucher médié par l’archet versus le souffle ou la frappe percussive) ou telle sonorité (de l’aigu au grave) tantôt au « féminin », tantôt au « masculin ». La harpe serait gracieuse et volubile, la trompette, puissante et guerrière. On pourrait décliner à l’envi ces représentations, lesquelles ne sont pas immuables dans le temps : la harpe – en raison de la position de l’instrumentiste qui bascule l’instrument entre les jambes – et la flûte – mobilisant le souffle – ont été perçues à certaines époques comme des instruments « masculins », dont la pratique n’était pas convenable pour les femmes.

Auditions « à l’aveugle »

Les pionnières, premières femmes à accéder au jeu professionnel au sein de ces ensembles, l’ont été à la harpe (« la harpiste » était alors la seule femme de l’orchestre), puis au violon. Quelques-unes ensuite sont devenues violoncelliste solo, bassoniste ou flûtiste. C’était au tournant des années 1970 et bien souvent… on a cru alors recruter un homme. Ces musiciennes ont souvent joué du paravent (ou du rideau qui masque la candidate ou le candidat lors des auditions instrumentales au moment du recrutement).

Certaines racontent ainsi que sur le conseil de leur professeur – le plus souvent un homme, à l’époque – elles ont mis en œuvre des stratégies : « gros godillots », ne pas dire « bonjour », etc. La surprise a été souvent de taille une fois le paravent enlevé, entraînant parfois des situations difficiles pour la nouvelle recrue (dont la demande de collègues au sein du pupitre d’annuler le concours). Depuis, le paravent a été adopté pour un ou deux tours, retiré ou remis, selon les concours et selon les orchestres.

Depuis peu, pour tous les recrutements des orchestres permanents français, il est présent lors du premier tour. Rares sont ceux qui le conservent de bout en bout du recrutement. Nous menons actuellement une enquête avec des collègues pour analyser les effets de ce dispositif et voir si les résultats corroborent ceux d’une équipe de recherche américaine. Cette dernière a montré que la présence du paravent double les chances des femmes d’accéder au tour suivant des concours étudiés et que ce dispositif explique une progression de 25 % du recrutement des femmes dans orchestres américains entre 1970 et 1996.

Les femmes, moins visibles dans l’orchestre

À quoi cela est-il dû ? Les représentations sociales et culturelles associées aux instruments rencontrent celles attachées aux postes à responsabilité, y compris sur le plan esthétique. Qu’il s’agisse de la responsabilité de la direction d’un pupitre ou de tout un orchestre, des processus de « plafond de verre » ou « de plancher collant » jouent à plein. Des processus de ségrégation horizontale conduisent les femmes à jouer certains instruments plutôt que d’autres : le jeu d’un instrument à cordes conduit le plus souvent vers des postes de « tuttistes », qui ne jouent jamais une note en solo. Alors que les instruments à vent sont solistes par définition des postes (1er, 2e ou 3e soliste, pas de tuttiste). Si les femmes représentent un tiers des instrumentistes, huit solistes d’orchestre sur dix sont des hommes (1er violon, 2e hautbois, etc.). La position la plus masculinisée reste celle de chef d’orchestre. Des processus de ségrégation verticale, de difficile accès aux postes à pouvoir, se retrouvent comme dans toutes les sphères de la vie sociale.

Et pourtant, les femmes qui s’engagent dans des études puis une carrière de cheffe, notamment, sont de plus en plus nombreuses. Cependant, les obstacles demeurent, souvent difficiles à franchir : se faire accepter, convaincre de sa légitimité, trouver la manière d’exercer cette fonction d’autorité. Les cheffes racontent les chausse-trapes, le manque de modèles, la concurrence lorsqu’elles ne sont plus « l’exception qui confirme la règle », les attentes différenciées par rapport à leurs collègues hommes, l’accent mis sur leur apparence corporelle, l’autorité remise en question…

Toutefois, les professions orchestrales semblent se saisir en partie maintenant de ces questions, en témoigne par exemple la Charte pour l’égalité entre les femmes et les hommes au sein des orchestres et des opéras adoptée en juillet 2018 par l’Association française des orchestres. Une conscience se fait jour aussi du côté de la diffusion des compositrices. Il a souvent été dit qu’il n’en existait pas. On redécouvre aujourd’hui des œuvres et des parcours. Beaucoup reste à faire, en matière de connaissance et de reconnaissance, de diffusion mais aussi de formation. C’est tout ensemble l’environnement, les pratiques et les représentations qu’il convient en effet de considérer.

La figure de l’artiste

Mais la voix alors ? Car les figures de chanteuses sont nombreuses et emblématiques, dira-t-on. À raison. En France, notamment, les femmes se sont fait reconnaître comme cantatrices dès la naissance de l’opéra au début du XVIIe siècle. Les voix de femmes ont été appréciées pour elles-mêmes et certaines cantatrices ont été adulées, portées aux nues. Sans une certaine ambiguïté quant à leur statut social. La figure de la courtisane n’était alors jamais très loin.

Et dans les musiques autres que les musiques orchestrales évoquées plus avant, c’est souvent au travers de la voix que les musiciennes s’expriment et se font entendre. Dans le jazz, le nom de grandes divas, tel celui de Billie Holiday ou d’Ella Fitzgerald, viennent immédiatement à l’esprit. Mais, là encore, une répartition des rôles est sous-jacente : aux femmes, le chant ; aux hommes, les instruments. Les femmes représentent seulement 4 % des instrumentistes de jazz en France. Or le jazz réputé le plus créateur, nourri d’improvisation « pure », n’est pas le jazz vocal, réputé plus commercial, mais le jazz instrumental…

On touche ici au nœud de l’affaire en art : dans les imaginaires, la figure de l’artiste, du créateur, demeure largement androcentrée, portée par un homme blanc. Que faire alors ? Adopter des dispositifs volontaristes ? Du paravent – utilisé à l’origine pour éviter les recrutements trop consanguins, des élèves par leurs professeurs – aux quotas, des débats se tiennent avec pour toile de fond une conviction élaborée depuis quelque 200 ans : l’excellence ou le génie appartiendrait en propre à la personne. C’est souvent oublier que des conditions sociales favorisent – ou non – leur émergence et leur développement. L’égalité se construit pas à pas. Elle se travaille au corps et dans les têtes. Comme dirait la philosophe Geneviève Fraisse, elle ne pousse pas comme l’herbe verte…


Hyacinthe Ravet participe au premier Apéro d’idées organisé ce mercredi 16 octobre par Sorbonne Université, sur le thème « Enquêter, chanter, jouer, danser… Quelle place prennent les femmes dans les pratiques artistiques ? », animé par Victoire Tuaillon. Elle est l’auteure de « Musiciennes. Enquête sur les femmes et la musique » (Autrement, 2011) et de « L’orchestre au travail. Interactions, négociations, coopération » (Vrin, 2015).

Hyacinthe Ravet, Professeure de sociologie de la musique, Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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