Musealia - Enquête sur un poisson fossile du Cénozoïque

Au-delà de son aspect militaire qui fut un fiasco pour l’armée française avec à sa tête le général Napoléon Bonaparte, la campagne d’Egypte (1798-1801) présente un grand intérêt scientifique. En effet, la Commission des sciences et des arts, créée en mars 1798, à l’occasion de cette campagne regroupa 167 artistes et scientifiques de diverses disciplines qui prirent la direction d’Alexandrie avec pour objectif d’étudier l’Egypte sous tous ses aspects. Parmi eux, des noms restés célèbres comme Gaspard Monge, Joseph Fourier, ou encore Etienne Geoffroy Saint-Hilaire.

L’ensemble des études et observations faites par ces savants représente un monumental travail consigné dans un recueil nommé la Description de l’Egypte dont la rédaction a débuté en 1809 pour s’achever en 1821. Dans la lignée de l’Encyclopédie des Lumières, il constitue l’ouvrage de référence de l’égyptologie. Si les écrits ont pu être ramenés en France après la défaite française, une partie du matériel a été saisi par les Britanniques, comme notamment la célèbre Pierre de Rosette. De nombreux objets de taille plus modeste ont en revanche pu être ramenés en France, acheminés dans les bagages des savants de retour au pays. C’est manifestement le cas de cette pièce, collectée par André Bruno de Frévol, comte de la Coste (1775-1809).

Il est particulièrement intéressant d’observer les informations associées à ce poisson fossilisé et de comprendre que, sans celles-ci, un spécimen perd son intérêt scientifique. Supposée avoir été collectée entre 1798 et 1801, le marquage sur la pierre a manifestement été réalisé près de dix ans après sa découverte, c’est à dire après 1808. En effet, ce n’est qu’à cette date que le comte de la Coste a été nommé général après avoir été le fidèle aide de camp de Napoléon.

Toutefois, d’après Jean Gaudant une incertitude demeure sur l’origine égyptienne de ce fossile. Ce spécialiste en paléontologie des vertébrés se fonde sur l’analyse du calcaire renfermant ce fameux poisson qui semble davantage correspondre aux caractéristiques du gisement de Monte-Bolca près de Vérone (Italie) plutôt qu’à celles de Djebel Tourah (Egypte). Il n'est donc pas possible d’exclure l’hypothèse selon laquelle ce spécimen correspondrait à un souvenir des affectations italiennes du général de la Coste. L’inscription serait alors apocryphe ou tout du moins quelque peu erronée.

Cet exemple chargé d’histoire illustre combien il est difficile de déterminer avec certitude l’origine des spécimens des collections anciennes. Quelle que soit la date de son recueil, qu’il ait traversé la Méditerranée ou les Alpes dans les bagages du général de la Coste, ce poisson n’en reste pas moins un témoignage précieux des toutes premières collectes de fossiles réalisées alors que la paléontologie n’en était encore qu’à ses balbutiements. De plus, il est à noter que ce poisson fossile est l’un des plus anciens échantillons de la collection de paléontologie conservée à Sorbonne Université.

Par Maxime Perretta – Technicien chargé de collections patrimoniales, pôle Collections scientifiques et patrimoine de la BSU
et Rémi Gaillard – Directeur adjoint de la Bibliothèque de Sorbonne Université

• Boudon, Jacques-Olivier, La campagne d'Égypte, Belin, 2018
• Gaudant, Jean, La crise messinienne et ses effets sur l’ichthyofaune néogène de la Méditerranée : le témoignage des squelettes en connexion de poissons téléostéens, in Néraudeau D. & Goubert E. (eds), l’Événement messinien : approches paléobiologiques et paléoécologiques. Geodiversitas, 2002, 24 (3), 691-710
• Gaudant, Jean, Une inscription apocryphe ! Géochronique, 73, 2000, p. 36